C’est extraordinaire : un nouveau monde vient de naître.
Pas loin ! A quelques galaxies de la nôtre. Oui… là-bas… observez bien le ciel : là ! Un peu plus sur votre droite… Ces petites lueurs qui semblent fragiles comme flammèches de feu follet. C’est là !
Oh, vous pouvez en sourire, vous en moquer comme d’un éclat de roche éruptive perdu dans une mer de sable ! Oui, vous pouvez ironiser tout à loisir sur ce pet d’étoile ! Il n’empêche que ce petit monde est là et que désormais il nous faudra bien composer avec.
Car ce bébé de planète qui palpite si haut au-dessus de nos têtes, il grandit, s’étale, fait sa place et prend ses aises, et pour délimiter son espace vital, il pousse et repousse maints astres assoupis, les arrachant à leur torpeur sidérale, bousculant et éjectant de leurs orbites figées comètes et astéroïdes.
C’est loin, très loin, me direz-vous, de nous. Ces soubresauts, ces explosions, ces distorsions, ne peuvent en aucun cas nous inquiéter. Une infime étincelle à l’échelle intergalactique, et s’il faut y voir réellement une catastrophe, du moment que celle-ci se déroule au fin fond de l’univers nous n’avons rien à en redouter !
Evidemment ! Mais… Qui a parlé de menace, ici ? Pas moi ! Je ne viens que vous annoncer cette naissance et une naissance n’est-elle point synonyme de vie ?
Pourquoi, toujours, à chaque fois, évoquez-vous seulement le pire côté d’un événement ? Pourquoi systématiquement mesurer l’importance de ce dernier en fonction du danger qu’il pourrait représenter pour nos misérables destinées ?
Insectes présomptueux !
Et me voilà, ici, obstinée au laborieux grattage d’une futile insouciance, au méticuleux décapage d’une indifférence collective, espérant parvenir, tant bien que mal, à en raviver une parcelle d’enthousiasme !
Combien je les entends hauts et clairs vos raisonnements ! A quoi cette terre nouvelle nous servirait-elle ? Sans doute inhabitable, trop chaude ou trop froide, sûrement aride et hostile, et, de toute façon, bien trop inaccessible !
Tous ces mots trop souvent répétés, dits seulement pour avoir été mille fois entendus, sont comme notes discordantes arrachées aux cordes élimées d’un violon sans âme par vos doigts malhabiles poussant un mauvais archet.
Pourquoi l’imaginer désolation et fournaise ? Pourquoi le supposer cendres et désert ?
Ha ! Taisez-vous donc ! N’en rajoutez plus ! Que voudriez-vous ? Que ce nouveau monde soit tissé de soie et pétri de ouate ? Que l’occuper soit facile, que l’essentiel vous y soit offert sans peine ? Qu’il se conquière sans effort ? Qu’il soit à portée de fusée, à deux tours d’un rotor d’hélicoptère, ou, mieux encore que la distance qui vous en sépare soit aussi facile à franchir qu’un insignifiant ruisseau, pas plus large que le surestimé Rubicon ?
Avez-vous donc perdu le goût des conquêtes ?
Aucun parmi vous pour lui dessiner des lacs de montagne pareils à des joyaux célestes jetés sur des champs d’émeraude ? Pas un qui saura le sculpter de vallons et de collines ? Personne pour lui peindre un ciel de toile céruléenne pommelée de parme et d’or pur ?
La mémoire humaine a-t-elle donc sombré si profond dans les abîmes gris d’une réalité pragmatique pour en avoir tout à fait oublié ses élans créateurs ?
Nos espérances sont-elles donc si bien anesthésiées par une confortable routine mécanique qu’elles en ont oublié la voie qui mène au jardin d’Eden ?
En reste-t-il encore de ces êtres qui, d’un mot, d’un geste, d’une image savent si bien traduire l’imaginaire, le faire plus merveilleux que le plus doux des Paradis !
Ah… Si vous disparaissiez, combien vous me manqueriez, vous tous, poètes et visionnaires, dont l’esprit ne sait que ramer sur la crête des rêves ! Combien nous deviendrions misérables !
Sam 8 Déc - 5:49